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Sarah Lancman Quartet

Parisienne

CONCERT SCÈNE PRINCIPALE - JEUDI 4 AOÛT - 21H30

Concert scène principale Jeudi 4 Août - 21h30

Sarah Lancman Quartet
"Parisienne"

Être une chanteuse de jazz ressemble plus à la vie d’Ulysse qu’à celle de Pénélope. On court le monde de tournée en détour mais on finit toujours par revenir chez soi. Ainsi, Sarah Lancman a chanté sur tous les continents, posé ses mains sur des pianos de partout, et son nouvel album s’intitule Parisienne – elle est née vers Châtelet-Les-Halles.

Cet autoportrait dans sa ville natale est aussi un manifeste, qui montre une chanteuse, autrice, compositrice et pianiste dessinant sa voie entre deux langues et plusieurs genres, entre félicité et mélancolie, entre pureté et virtuosité, entre enracinement et échappées. Mais c’est ainsi qu’elle est parisienne, très consciente de l’emmêlement des racines entre une mère d’origine marocaine et un père mi-breton, mi-ashkénaze – tous deux sont nées à Paris, d’ailleurs.

Toute sa vie sensible joue ainsi d’intrications savoureuses, comme sa manière de passer du français à l’anglais et de l’anglais au français : ses nouvelles chansons "C’était pour toi" et "I Love You More Than I Can Sing" ont la même musique mais deux propos bien différents.

En compagnie de Noé Zagroun au piano, de Laurent Vernerey à la contrebasse et de Stéphane Huchard à la batterie, avec des visites de Marc Berthoumieux à l’accordéon et de Pierrick Pédron au saxophone, elle déploie un art de l’enlacement soyeux mais vertigineux.

La soie, c’est sa voix grave, moirée, ductile. Le vertige, c’est parce que ses textes n’explorent guère que les intermittences du cœur. « J’ai du mal à écrire autre chose que des chansons d’amour », avoue-t-elle volontiers. Ivresses soudaines, tourments de la rupture, mélancolies obstinées, bonheurs fugaces : Sarah Lancman est bilingue dans sa traversée des amours, avec peut-être un peu plus de sensualité instinctive lorsqu’elle chante en anglais et «en français, une tendance à penser poétiquement ».

Des gourmandises à la Shirley Horn, la précision d’Helen Merrill, l’enjouement d’une Sarah Vaughan ? Tout cela, mais aussi de belles influences françaises, comme Charles Aznavour, qu’elle a rencontrée alors que sa carrière se nouait et qui l’impressionne pour « sa force dans l’usage des mots. Un certain lyrisme, quelque chose de cinématographique dans la manière de parler de l’amour et de la vie. »

C’est en pensant à lui qu’elle a composé la mélodie de Ton silence, chanson d’après la séparation ou le deuil. Elle reprend aussi un grand classique des premières années de carrière d’Aznavour, Parce que, dans lequel elle retrouve « un goût du tragique qui correspond bien à [son] côté ashkénaze ». Le même tragique irrigue un grand classique de sa compatriote parisienne Édith Piaf, L’Hymne à l’amour, hyperbolique tragédie de l’amour fou auquel elle donne des couleurs résolument dignes.

Car c’est une constante chez Sarah Lancman, qui forge opiniâtrement ses chances autant que sa singularité : elle chante toujours à une certaine hauteur de sentiment. Enfant, elle est la première musicienne de sa famille, s’endort le soir avec les Concertos brandebourgeois de Bach, trouve facile le Conservatoire, se fait offrir des partitions à Noël mais aime Les Dix Commandements et Claude Nougaro, entre dans une école de comédie musicale qui ferme au bout d’un an, s’affranchit des complexes de la pianiste classique pendant un stage à la Bill Evans Piano Academy à quinze ans. Elle part dans « une école de commerce version jazz », la Haute École de musique de Lausanne. Cursus éprouvant : jusqu’à huit heures de musique par jour.

Elle n’a que trente minutes de chant par semaine – son « deuxième instrument » – quand elle se présente au concours de chant du festival de Montreux 2012. Elle est surprise d’être parmi les onze jeunes artistes sélectionnés, puis parmi les trois finalistes, puis de triompher devant le jury présidé par Quincy Jones – « un signe de la vie au moment où je perdais la foi et me demandais si j’allais continuer mes études. »

Après un premier album autoproduit, Dark, elle rencontre Giovanni Mirabassi, pianiste italien devenu parisien. Un evansien, lui aussi, mais nourri de lyrisme latin et d’une connaissance intime de la liberté poétique de la chanson française. Sarah écrit et compose ? « Il m’a dit « Envoie-moi quelque chose ». Il était en tournée au Japon et je lui ai expédié une maquette. Il m’a répondu : « Tu peux m’en écrire dix autres ? »

L’immense virtuose classique Aldo Ciccolini avait été le maître de Giovanni ; il répète alors à Sarah ce qu’il en avait reçu : « Entre nous, on se connaît comme des frères. » Une aventure commence. L’album Inspiring Love est enregistré en 2016 à New York puis À contretemps en 2018 en Thaïlande. Début 2019, elle fait une parenthèse dans l’écriture avec un hommage à la chanson italienne, Intermezzo. Elle tourne beaucoup, collabore avec le trompettiste japonais Toku, jamme à Odessa avec un balafoniste béninois vivant en Allemagne, participe à l’aventure de Jazz Eleven, le label indépendant fondé par Giovanni Mirabassi – la vie heureuse d’une artiste d’un jazz mondial enraciné autant dans le temps que dans l’espace.

Quand, pour son nouvel album, elle retrouve l’écriture, Sarah Lancman sait qu’il y aura son regard droit sur la pochette, l’instinct du chic, la jubilation et le spleen, la trentaine radieuse, la certitude d’être à sa place. Parisienne, donc. En attendant le bonheur nourrissant d’être en scène face au public.

​Bertrand Dicale